L’amour en vers de Mariangela Gualtieri, par Rachele Palmieri

une note de lecture parue sur minimumfax.com en octobre 2010, à l’occasion de la publication du recueil de Mariangela Gualtieri, Bestia di gioia, chez Einaudi –  traduite de l’italien par Silvia Guzzi

 

Quand on ne peut puiser dans une boîte à outil, quand on n’a pas de licence ès-lettres (ou de licence tout court), de notions de métrique, ni une connaissance approfondie des figures rhétoriques, lire la poésie se transforme en un véritable exercice de liberté. On ouvre un livre, on s’emplit de l’espace blanc où flottent ces quelques mots choisis et disposés selon un ordre bien précis, on se libère des chaînes temporelles qui, traditionnellement, clouent l’œil à la page pleine de prose et on décide, plus ou moins consciemment, de s’en remettre à un langage et à une émotion qui se nourrissent précisément d’une telle rencontre.

Dans la vie il arrive parfois que l’on tombe sur quelqu’un ou sur quelque chose que l’on reconnaît immédiatement comme familier. C’est ce qui m’est arrivé avec la poésie de Mariangela Gualtieri. Pour les moins curieux, je dirai que Mariangela Gualtieri est née en Emilie-Romagne et a décidé, après une licence en architecture, de se consacrer à la parole déclamée, en fondant en 1983 avec Cesare Ronconi le Teatro della Valcoda, et à la parole en vers. Quant aux plus curieux, je les invite à chercher sur le net ses poèmes et ses contributions vidéo, à aller l’écouter aussi (personnellement je n’ai pas encore eu cette chance) ou s’offrir un de ses recueils : Antenata (Crocetti 1992), Fuoco Centrale e altre poesie per il teatro (Einaudi 2003), Senza polvere senza peso (Einaudi 2006), Paesaggio con fratello rotto (Sossella 2007), Bestia di gioia (Einaudi 2010).

Moi je suis tombée amoureuse de ses poèmes d’amour. Je l’ai croisée au hasard de mes voyages sur le net. Les premiers vers que j’ai lus d’elle ont été : « Sento il tuo disordine / e lo comparo al mio. C’è / somiglianza. C’è lo stesso slabbro / di ferite identiche. C’è tutta la voglia / di un passo largo in una terra / sgombra che non troviamo. / Sento il tuo respiro schiacciato / lo sento somigliante / ti sento piano morire / come me che non controllo / l’accensione del sangue. // Anch’io cerco una libertà che mi / sbandieri, una falcata / perfetta, uno stacco d’uccello / dal suo ramo, quando si butta / improvviso e poi plana [1]. »

J’aime sa façon d’être cristalline, la grâce avec laquelle elle marie nature et humanité, le respect qu’elle exalte face à chaque battement de chair et de cœur. Sa poésie témoigne d’une écoute constante des parties les plus cachées et oubliées de nous-mêmes et d’une générosité rare envers l’autre, le différent. Souvent le destin nous amène à avancer le long de sentiers que d’autres ont foulés avant nous et, en ce qui me concerne, j’ai découvert Mariangela Gualtieri alors que j’étais plongée dans la lecture de La pesanteur et la grâce de Simone Weil [2] :  « Le poète produit le beau par l’attention fixée sur du réel. De même, l’acte d’amour. […] Les valeurs authentiques et pures de vrai, de beau et de bien dans l’activité d’un être humain se produisent par un seul et même acte, une certaine application à l’objet de la plénitude de l’attention. » C’est cette attention qui m’a frappée dans les poèmes de Mariangela. En la lisant on a le sentiment qu’elle arrive à garder un équilibre tout autre que précaire entre le regard intérieur et le regard extérieur, qu’elle est envoûtée par les infinies combinaisons possibles de son être et de tout ce qui l’entoure, qu’il s’agisse des fruits de la terre ou de « ma vérité », de « la simplicité du blé et du pain » ou de « mon corps destin ».

Je suis tombée amoureuse de ses poèmes d’amour et j’ajouterais – pardonnez-moi cette note autobiographique – qu’ils ont accompagné mon amour. Il est rare que mon cœur se laisse bouleverser par des mots d’amour, peut-être est-ce dû à une certaine fatigue, à un certain vide, ou à un vice idéologique malsain ; mais face à Bestia di gioia, et en particulier la section « Mon vrai », j’ai lâché prise, je me suis rendue. Mariangela Gualtieri dit l’amour sans vouloir l’emplir, elle en esquisse juste les contours géographiques : « un comune cuore », « uno che pare due », « questo essere corpi scelti / per l’incastro dei compagni / d’amore ».

J’ai l’impression que chacun de nous tente, à sa façon, de dessiner ces contours.

Certaines personnes arrivent à raconter leur amour ; d’autres arrivent à raconter l’Amour.

En voici la preuve :

Alcesti [3]

Ma solo pensare a te.
Non è una figura che viene
una nitida traccia.
È come cadere in un posto
con un po’ di dolore.
Tu sei il mio tu più esteso
deposto sul fondo mio. Tu. Non c’è
un’altra forma del mondo
che si appoggi al mio cuore
con quel tocco, quell’orma.
Tu. Tu sei del mondo la più cara
forma, figura, tu sei il mio essere a casa
sei casa, letto dove
questo mio corpo inquieto riposa.
E senza di te io sono lontana
non so dire da cosa ma
lontana, scomoda un poco
perduta, come malata.
Un po’ sporco il mondo lontano da te,
più nemico, che punge, che
graffia, sta fuori misura.
Mio vero tu, mio altro corpo
mio corpo fra tutti mio
più vicino corpo, mio corpo destino
ch’eri fatto
per l’incastro con questo mio
essere qui in forma di femmina
umana. Mio tu. Antico suono
riverberante, antico
sentirti destino intrecciato
sentire che sei sempre stato,
promesso da ere lontane
da distanze così spaventose
così avventurose distanze da
lontananze sacre.

 

Tu sei sacro al mio cuore.
Il mio fuoco
brucia da sempre col tuo
il mio fiato.

 

Io parlo delle forze —
di correnti sul fondo del mio lago
sul fondo del tuo, oscure e potenti,
più del tempo dure più dello
spazio larghe, ma sottili
al nostro sentire,
afferrate appena
e poi perdute, nel loro gioco.

 

Che cosa siamo io e te? Che cosa eravamo
prima di questo nome? E ancora
saremo qualcosa, lo sappiamo e non
lo sappiamo, con un sentire
che non è intelligente lavorio cerebrale.

 

Nessuna parte di corpo che muore
nessun pezzo umano, nessun arto,
nessun flusso di sangue, nessun
cuore, nessuno, niente che sia
stretto nel giro del sole, niente
che sia solo terrestre umano muove
il tuo cuore al mio, il mio al tuo,
come fossero due parti di un uno.

 

Allora tu sei la mia lezione più grande
l’insegnamento supremo.
Esiste solo l’uno, solo l’uno esiste
l’uno solamente, senza il due.

 

 

Notes
Les vers entre guillemets sont tous, sauf indication contraire, extraits de Bestia di gioia, Einaudi, 2010.
[1] Mariangela Gualtieri, Senza polvere senza peso, Einaudi, 2006
[2] Simone Weil, La pesanteur et la grâce, Plon, 1988
[3] Mariangela Gualtieri, Bestia di gioia, Einaudi, 2010

 

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