Théâtre : Cartoline e transizioni – une note par Silvia Guzzi

cartolineune pièce qui s’est jouée du 29 janvier au 1er février 2015, au Teatro Studio Uno, à Rome

Oui, c’est de l’underground. Une entrée en matière pour le moins inquiétante. On vous fait attendre dans l’antichambre sans vous donner le moindre indice. Il n’y a plus ni temps, ni lieu. Le public est pris en otage. On lui distribue, avec une diligence qui fait froid dans le dos, quelques cartes postales écrites sur le moment. Une bougie et quelques notes de piano. Une plume, une sorcière, un joker. Et puis plus rien. La pénombre. Puis la salle, enfin… l’espoir d’un semblant de normalité. Mais non. Car on est très mal assis. Dire que le décor est cru serait un euphémisme. C’est que pour représenter le néant, il n’est pas de meilleur choix que le vide. Des caisses, un vieux divan troué, des rideaux.

Des rideaux qui s’ouvrent et qui se ferment, puis s’ouvrent et se referment encore, dans une presqu’hystérie. Celle que l’on n’aime pas voir. Une hystérie insolente. Destructrice.
Le monde s’est déversé sur une femme, l’a ravagée. La maladie, la mort, le poids d’une sœur cadette… et les enseignements reçus, cet héritage transmis de grand-mère en mère en fille : être forte, toujours et en toute circonstance, y croire à la vie. Une vie de cartes postales tirées du fond des caisses qui ponctuent les transitions d’un personnage en péril.

D’aucuns jugent cette femme insupportable, détestable, voire haïssable. Une femme qui s’en prend, paraît-il, à tout et à tout le monde, ne respecte rien. Elle est, à ce qu’on dit, le reflet pourri d’une femme frustrée et traînant derrière elle des questions irrésolues. Elle s’en prend à sa mère. À son compagnon. Elle rejette son venin sur sa sœur et ses souvenirs d’enfance ne sont pas linéaires. Et son père dans tout ça ? Elle maudit jusqu’à ses amis. Mais par-dessus tout, oui, elle en veut à sa mère, bien sûr… à qui sinon s’en prendrait-elle? Au placenta ?

“Perché, perché, perché? Mamma, aiutami tu, ti prego. Non c’è, non c’è, non c’è più. Perché, perché? Tengo tutto dentro e non lo tiro fuori nemmeno se mi pagate, avete capito?” “Mamma, mamma, mamma, la mia mamma, che tanto lei no capisce…”

Oui, elle apparaît manipulatrice. Manipulatrice d’elle-même avant tout. Une très grande manipulatrice à l’envers, les boyaux révoltés, car c’est à son moi intime qu’elle fait le plus de mal. Plus qu’aux autres. Des autres qui, par définition, ne sont pas à la hauteur. Ils ne le pourraient pas face à un besoin d’amour qui est bien trop grand, bien trop pur, bien trop… besoin d’amour propre que pour pouvoir se réaliser dans la sourde cruauté du réel.

“Ma che ne sai? Che cazzo ne sai tu della solitudine? Ti hanno mai tradito guardandoti in faccia? Hai mai avuto paura di essere malato? Sai che significa sentirsi incapaci di muoversi? Rimanere in camera, spiaccicata sotto le coperte per mesi. Un fallimento, per tutti. Io e basta.”

Un besoin d’amour qui s’accommode mal du mal, qui s’en accommode tellement mal qu’il crée des distances, des rejets forcés. Et toujours cette insatisfaction, ce sentiment de ne pas arriver à atteindre l’indépendance voulue qui se déverse dans un auto-lésionisme émotionnel sans fin. Y compris dans la relation la plus proche dont le schéma n’est autre qu’un drame, un mécanisme masochiste d’éloignement ponctué de faux rapprochements dictés par un besoin désespéré de donner un sens à la vie.

« Ma che vuoi ? Che vuoi ? quante volte ti ho detto ti amo ?! Eh!? DUE! Bene, DUE ! E allora lasciami stare. Non ti appiccicare, Vattene, voglio vedere che te ne vai, voglio il mio gran finale : guardarti andare via e lasciarmi da sola, guardarti mentre mi abbandoni. »

Alors voilà, elle utilise des béquilles. Que pourrait-elle faire d’autre, d’ailleurs ? Elle hurle à la mort. Elle hurle à son rien. Elle vomit son incohérence. Elle est cependant lucide, extrêmement lucide. C’est sans doute cela qui dérange le plus. Je ne crois pas que ce soit son malheur qui dérange. Je crois que c’est la lucidité avec laquelle elle nourrit sa rage, au-delà de son désespoir, qui incommode, déroute, dégoûte sans doute aussi. On appelle ça un drame psychologique. C’est entendu. Et pourtant je ne ressens qu’empathie et compassion envers ce personnage. Pour moi, sa rage est à la hauteur de ses espoirs, malgré tout. Ses descentes aux enfers ne sont pas de vrais abandons, ils ne m’apparaissent pas totaux. La violence de ses réactions, la pesanteur de sa frappe ne seraient-elles rien d’autre que l’envie de vivre ?

“Ma che ne sai? Ancora che chiedi? Ancora che vuoi sapere ? Io non me ne faccio niente delle tue domande, delle tue parole, dei tuoi abbracci. NIENTE, NON ME NE FACCIO NIENTE. Ma tu che ne sai di come mi sento? Di come sto io? Sì, non te lo dico, lo faccio apposta! Ma se fossi veramente bravo, se veramente mi volessi bene, lo sapresti! Non avresti bisogno di stupide parole.”

C’est donc dans cette petite salle du Teatro Studio Uno d’un quartier populaire de Rome que s’est déroulée pendant quelques soirs une pièce aussi inattendue que déchirante, c’est là que s’est consumé un monologue poignant livré du bout des lèvres, du fond de la gorge et parfois jusqu’à la pointe des ongles par l’extraordinaire Francesca Romana Nascè. Une voix forte qui vire au rauque, et que l’on espère entendre encore, ailleurs, partout, le plus souvent possible. Une pièce écrite à partir d’un texte d’Emanuele Cerone et réalisée avec la collaboration d’Alessandra Caputo, dramaturge et metteur en scène. Le tout orchestré par Daniele Casolino, musicien de l’improvisation dont on finit par reconnaître les graves et les aigus.

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